Géopolitique

Pays francophones d’Afrique, héritage colonial et panafricanisme

Ecrit par

minervewebstudio_b7vv8bu3

Publié le:

Temps de lecture : 17 min

Partager cet article

Pays francophones d'Afrique

Sommaire

I. Contexte historique de la colonisation française en Afrique

1. Les motivations de l’expansion coloniale française

2. Le partage de l’Afrique lors de la Conférence de Berlin (1884-1885)

La Conférence de Berlin (1884-1885) est un moment crucial dans l’histoire de la colonisation africaine. Les grandes puissances européennes, sous la houlette d’Otto von Bismarck, ont redéfini les règles de la colonisation pour éviter les conflits entre elles tout en se partageant l’Afrique. Ce partage s’est fait sans consultation des populations locales et a été basé sur les ambitions impérialistes de chaque nation.

Pour la France, cette conférence a permis d’étendre son empire colonial, notamment en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Elle a ainsi consolidé son contrôle sur des régions comme le Sénégal, la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Bénin, et le Tchad.

Les frontières coloniales tracées lors de cette conférence étaient arbitraires, ne respectant ni les réalités culturelles, ethniques, ou linguistiques des populations africaines. Ce découpage a conduit à des tensions et des conflits qui se poursuivent encore aujourd’hui, notamment en raison des frontières artificielles créées à cette époque.

Pays francophones d'Afrique-conférence de Berlin en 1885
Gravure montrant les participants à la conférence de Berlin en 1885.

3. Pays francophones d’Afrique: mise en place de l’administration coloniale

Une fois les territoires conquis, la France a mis en place une administration hautement centralisée dans ses colonies. Les gouverneurs étaient des Français envoyés directement de la métropole et dépendaient du ministère des Colonies. Cette administration avait pour objectif de contrôler efficacement les territoires tout en garantissant la loyauté envers la France.

L’une des armes les plus puissantes de cette administration était la langue française, qui devint la langue officielle des colonies. Les populations locales devaient utiliser le français dans les affaires administratives, judiciaires, et parfois commerciales, ce qui marginalisait leurs propres langues. La langue française était perçue comme un instrument d’ascension sociale pour ceux qui la maîtrisaient, notamment dans les élites locales éduquées dans les écoles coloniales.

II. La francisation des territoires africains colonisés

1. Le rôle de l’école coloniale dans l’instauration du français

L’éducation a joué un rôle central dans le projet colonial de francisation. L’école coloniale a été utilisée pour enseigner la langue et les valeurs de la République française aux enfants africains. Les programmes scolaires imposaient une éducation en français, en mettant de côté les langues et cultures locales, considérées comme « arriérées ».

Cette éducation coloniale, bien qu’elle ait permis à certains Africains de gravir les échelons sociaux, servait principalement à former une élite francophone capable de travailler pour l’administration coloniale.

L’éducation coloniale ne se limitait pas seulement à l’apprentissage de la langue, mais aussi à l’inculcation de valeurs européennes. Les enfants apprenaient l’histoire de la France, sa géographie, sa littérature, et très peu sur leurs propres cultures et traditions. Cette politique a conduit à une aliénation culturelle, où de nombreux Africains éduqués dans ces écoles en venaient à mépriser leurs propres langues et traditions.

2. Résistance et adaptation des populations locales face à la langue française

La francisation des territoires africains n’a pas été acceptée sans résistance. Dans plusieurs régions, des mouvements de rébellion ont éclaté pour protester contre l’imposition de la langue et de la culture françaises.

Des figures de résistance comme Samory Touré, au XIXe siècle, ou encore des leaders religieux et traditionnels, ont mené des révoltes contre l’administration coloniale, cherchant à préserver les cultures locales.

Cependant, la francisation a également conduit à des formes d’adaptation, où certains leaders traditionnels et politiques locaux ont vu dans l’apprentissage du français un moyen de négocier avec les colons et d’accéder à des postes au sein de l’administration.

Ainsi, un paradoxe s’est créé : d’une part, la résistance à la colonisation et à la francisation, et d’autre part, l’utilisation de la langue française comme levier pour obtenir des avantages socio-économiques.

3. Diffusion du français dans les sphères administratives, économiques et sociales

L’utilisation du français dans les colonies a rapidement dépassé les limites de l’administration pour toucher l’ensemble de la société. Le français est devenu la langue des affaires, de la justice, et même des pratiques religieuses, dans certaines régions.

Le multilinguisme des sociétés africaines, où coexistaient des dizaines de langues locales, a été fortement perturbé par l’introduction de cette langue unique, perçue comme un instrument de domination. Les élites locales francophones, éduquées dans les écoles coloniales, ont joué un rôle clé dans la diffusion du français, renforçant la perception que la langue française était synonyme de prestige et de pouvoir.

III. La francophonie, instrument de domination coloniale

1. Les stratégies de domination culturelle à travers l’imposition du français

La francophonie, en tant que communauté linguistique, a été un outil de domination culturelle dès les débuts de la colonisation. En imposant une seule langue officielle dans les affaires de l’État, la France a cherché à homogénéiser les cultures coloniales sous le modèle européen. L’une des principales stratégies de cette domination était de marginaliser les langues locales, qui étaient souvent perçues comme inférieures ou incapables d’assurer des fonctions administratives et économiques.

En imposant le français comme langue unique des institutions, la France a pu maintenir un contrôle culturel sur les populations colonisées, même après les indépendances. Cette domination culturelle a contribué à la dépendance économique et politique de nombreuses anciennes colonies, qui ont continué à entretenir des liens étroits avec la France.

2. La construction d’une élite francophone africaine

L’une des conséquences de cette politique linguistique a été la formation d’une élite francophone africaine. Ces élites, éduquées dans les écoles françaises, ont souvent occupé des postes de pouvoir dans les gouvernements après les indépendances. Elles ont servi de relais pour la politique néocoloniale de la France, tout en maintenant les intérêts économiques et politiques de la métropole dans les pays africains.

Les premiers présidents de nombreux pays francophones africains, tels que Léopold Sédar Senghor au Sénégal ou Félix Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire, étaient issus de cette élite francophone. Ils ont joué un rôle clé dans la gestion de l’État postcolonial tout en maintenant des relations privilégiées avec la France, notamment à travers des accords économiques et militaires.

3. Le contrôle de l’éducation et de la culture par l’administration coloniale

En plus de la langue, l’administration coloniale a cherché à contrôler la production culturelle dans les colonies. Les manuels scolaires, les programmes d’enseignement, et même les contenus médiatiques étaient centrés sur la culture française. Cela a largement contribué à l’assimilation culturelle des populations africaines, créant une dépendance vis-à-vis de la France, même après les indépendances.

IV. Les luttes pour l’indépendance et la question linguistique

1. La place de la langue française dans les mouvements de libération

Malgré son rôle d’instrument de domination, la langue française a aussi joué un rôle dans les mouvements de libération africains. Des figures comme Aimé Césaire ou Léopold Sédar Senghor ont utilisé le français pour dénoncer la colonisation et revendiquer l’indépendance de leurs pays. Le paradoxe réside dans le fait que ces leaders, tout en rejetant l’oppression coloniale, ont utilisé la langue du colonisateur pour mobiliser les masses et formuler leurs revendications politiques.

Le français est donc devenu une langue de résistance, permettant aux intellectuels africains de communiquer entre eux, de créer des mouvements panafricanistes, et de former des alliances avec d’autres leaders nationalistes en Afrique francophone et au-delà.

2. Revendication des identités culturelles et linguistiques pendant la période postcoloniale

Après les indépendances, plusieurs pays africains ont tenté de réhabiliter leurs langues locales. Par exemple, en Guinée, Sékou Touré a tenté d’instaurer les langues locales comme langues officielles de l’administration et de l’éducation. Cependant, ces initiatives ont souvent échoué face à l’infrastructure déjà en place et à la dominance continue du français dans les secteurs économiques et diplomatiques.

Dans de nombreux cas, les langues locales ont continué d’être reléguées au second plan, notamment dans les sphères de pouvoir, où le français est resté la langue de l’élite.

V. Les défis contemporains de la francophonie en Afrique

1. La concurrence avec l’anglais dans les échanges économiques et éducatifs

Aujourd’hui, le français est de plus en plus concurrencé par l’anglais, surtout dans le cadre des échanges économiques mondiaux. Les pays africains francophones, autrefois solidement ancrés dans le giron de la francophonie, se tournent désormais vers des partenaires anglophones pour diversifier leurs échanges. Des pays comme le Rwanda ont déjà fait le choix de l’anglais comme langue officielle, au détriment du français. Ce basculement reflète une stratégie visant à s’émanciper de l’influence française tout en s’intégrant dans un monde globalisé dominé par l’anglais.

Les systèmes éducatifs africains suivent également cette tendance, avec une hausse des cours dispensés en anglais, en particulier dans les universités et les formations techniques. Cette évolution montre que, bien que la langue française ait été historiquement dominante, elle est désormais contestée par des dynamiques économiques mondiales favorables à l’anglais, réduisant ainsi la portée géopolitique de la francophonie en Afrique.

2. L’essor des mouvements panafricanistes et leur critique de la francophonie

De plus en plus de mouvements panafricanistes dénoncent la francophonie comme un outil de néocolonialisme. Pour ces mouvements, le maintien du français dans les systèmes éducatifs, administratifs et économiques des pays africains constitue une forme de domination subtile qui empêche une véritable souveraineté culturelle et politique.

L’une des figures centrales de cette contestation est Kémi Séba, un activiste panafricaniste et fondateur de l’organisation Urgences Panafricanistes.

Kémi Séba milite activement pour la fin de l’influence française en Afrique, notamment à travers son combat contre le franc CFA, une monnaie considérée par beaucoup comme un vestige du colonialisme économique. Selon lui, la francophonie ne serait qu’un masque de la Françafrique, utilisé pour maintenir les anciennes colonies dans une situation de dépendance vis-à-vis de la France.

Kémi Séba a mené plusieurs actions militantes en Afrique de l’Ouest, organisant des manifestations populaires, brûlant symboliquement des billets de franc CFA, et appelant à l’unité africaine contre l’impérialisme occidental. Ce militantisme trouve un écho grandissant dans des pays comme le Mali, le Burkina Faso, ou encore le Niger, où les populations, lassées de l’ingérence française, rejoignent en masse les idéaux panafricanistes.

3. L’avenir de la francophonie : revalorisation des langues locales ?

Les récents événements en Afrique de l’Ouest et la montée des mouvements nationalistes questionnent l’avenir de la francophonie en Afrique. Face à la montée des critiques, certains pays commencent à promouvoir leurs langues locales dans l’éducation et l’administration. Des initiatives sont en cours pour intégrer des langues comme le bambara, le wolof et le swahili dans les systèmes éducatifs, offrant une alternative à la dominance du français.

Cependant, cette transition n’est pas sans défis. La francophonie reste un espace de coopération économique et diplomatique important pour les pays africains. Des organisations comme l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) continuent de jouer un rôle clé dans les relations entre l’Afrique et le reste du monde francophone, notamment en facilitant les échanges économiques et culturels.

L’avenir de la francophonie en Afrique pourrait donc se jouer entre une réinvention de cet espace et l’émergence de nouveaux partenariats internationaux.

Pays francophones d'Afrique-Colonisation

VI. Les récents coups d’État au Mali et au Burkina Faso : retour vers le panafricanisme

1. Les révoltes anti-françaises au Sahel

Les années récentes ont vu la montée de sentiments anti-français dans plusieurs pays du Sahel, en particulier au Mali et au Burkina Faso.

Ces pays, historiquement liés à la France par des accords militaires et économiques, ont connu des révoltes populaires dirigées contre ce que beaucoup perçoivent comme une ingérence néocoloniale. Les manifestations contre la présence militaire française, particulièrement l’opération Barkhane, ont illustré une rupture profonde entre les populations locales et l’ancien colonisateur.

2. Le rejet des influences néocoloniales : le Mali et le Burkina Faso

Burkina Faso

Au Burkina Faso, un autre coup d’État a eu lieu en janvier 2022, dirigé par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, renversé à son tour en septembre 2022 par le capitaine Ibrahim Traoré. Ces changements de pouvoir sont soutenus par une rhétorique anti-néocoloniale qui critique ouvertement la France pour son rôle dans les affaires intérieures du Burkina Faso. Les manifestants dans les rues de Ouagadougou brûlent des drapeaux français et demandent la fin des accords économiques et militaires qui lient leur pays à l’ancienne métropole.

Ces deux pays illustrent une tendance régionale dans laquelle le rejet de la France est associé à un désir de souveraineté totale, non seulement sur le plan politique et militaire, mais aussi linguistique et culturel. Le panafricanisme refait surface dans ces crises, avec des appels à l’unité africaine contre l’ingérence étrangère.

Le Mali

Le Mali est devenu un symbole fort du rejet des influences néocoloniales françaises en Afrique de l’Ouest. Après le coup d’État militaire de 2020, dirigé par le colonel Assimi Goïta, le pays a progressivement pris ses distances avec la France. Le climat de méfiance envers les accords militaires, économiques et diplomatiques hérités de la période coloniale s’est intensifié, notamment à cause de la présence de l’opération Barkhane, jugée inefficace par une grande partie de la population malienne.

En 2022, la rupture est consommée lorsque le gouvernement malien exige le départ des troupes françaises et annule plusieurs accords de coopération. Le Mali se tourne alors vers de nouveaux partenaires internationaux, notamment la Russie, via des mercenaires du groupe Wagner.

Ce repositionnement symbolise une volonté claire de rompre avec l’influence néocoloniale française pour affirmer une indépendance politique et militaire. Les slogans anti-français lors des manifestations populaires, ainsi que la montée des discours panafricanistes, montrent un rejet profond de la Françafrique au profit de nouvelles alliances perçues comme plus respectueuses de la souveraineté nationale.

3. Kémi Séba et la montée des mouvements panafricanistes

Dans ce contexte, des figures comme Kémi Séba jouent un rôle central en amplifiant le discours anti-néocolonial. L’activiste, basé en Afrique de l’Ouest, prône la fin du franc CFA, qu’il considère comme l’une des dernières chaînes qui lient l’Afrique à la France. Ses idées trouvent un écho particulier dans des pays comme le Mali et le Burkina Faso, où la jeunesse adopte de plus en plus une vision panafricaniste radicale, rejetant l’influence occidentale au profit de partenariats avec des pays comme la Russie ou la Chine.

Kémi Séba incarne cette nouvelle génération de militants panafricanistes qui souhaitent que l’Afrique se libère non seulement des influences économiques et politiques étrangères, mais aussi des structures linguistiques imposées par la colonisation.

Son message repose sur la nécessité pour les Africains de reprendre le contrôle de leur destin en valorisant leur propre culture, leurs langues, et leurs ressources.

Perspectives pour les pays francophones d’Afrique

Les coups d’État au Mali et au Burkina Faso, ainsi que la montée du panafricanisme radical, illustrent une rupture progressive avec le passé colonial. Le rejet de la France et de la francophonie témoigne d’une volonté croissante de revaloriser les identités africaines et de reprendre le contrôle des ressources politiques, économiques et culturelles. Toutefois, le chemin vers une indépendance complète, notamment sur le plan linguistique, est semé d’embûches.

L’avenir de la francophonie en Afrique pourrait être déterminé par la capacité de cette organisation à se réformer et à s’adapter aux aspirations d’une jeunesse africaine en quête d’une véritable souveraineté.

Pour une analyse géopolitique de pointe, recevez votre revue mensuelle Géopolitique Profonde :

Sources :