Sommaire
La Cour pénale internationale (CPI), fondée sur les principes du droit international pénal, s’est construite à partir d’événements historiques marquants, notamment les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo. Ces premières juridictions, établies après la Seconde Guerre mondiale, ont permis de juger les auteurs de crimes d’une ampleur inédite, comme les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le génocide, et d’affirmer le principe selon lequel les dirigeants peuvent être tenus responsables de leurs actions, même au plus haut niveau de l’État.
Depuis l’adoption du Statut de Rome en 1998, la CPI tente de poursuivre cette mission face aux crimes internationaux les plus graves. Cependant, elle se heurte à des obstacles majeurs : l’absence de coopération des grandes puissances, les pressions politiques et les accusations de partialité qui en affaiblissent l’autorité.
Aujourd’hui, les enquêtes sensibles menées par la CPI exposent ses acteurs à des pressions, tel le procureur Karim Khan accusé de harcèlement dans le cadre de la procédure engagée contre Israël. Cette réalité complexe montre que la CPI, bien qu’indispensable, reste une institution fragile et dépendante des soutiens politiques dans un contexte géopolitique de plus en plus polarisé.
Bref historique de la Cour pénale internationale
Les origines du droit international pénal
Le droit international pénal trouve ses origines dans les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, créés après la Seconde Guerre mondiale pour juger les dirigeants responsables de crimes graves tels que les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.
Ces juridictions pionnières ont établi les bases d’une justice internationale, affirmant que l’immunité des chefs d’État ne pouvait plus protéger les auteurs de crimes atroces. Bien que ces tribunaux aient représenté une avancée majeure, ils ont été critiqués pour leur caractère de “justice des vainqueurs”, traitant uniquement les crimes des puissances vaincues.
L’impact des Conventions de Genève sur la justice internationale
Les Conventions de Genève de 1949 ont renforcé le cadre juridique du droit international en codifiant des règles destinées à protéger les civils et les prisonniers de guerre.
Elles ont inspiré la création de nouvelles juridictions, telles que le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et celui pour le Rwanda, qui ont solidifié l’idée d’une justice indépendante et permanente, aboutissant plus tard à la création de la Cour pénale internationale.

La création de la CPI et le Traité de Rome (1998)
La création de la Cour pénale internationale (CPI) a été officialisée avec l’adoption du Statut de Rome en 1998, après plusieurs décennies de discussions et de négociations internationales.
La Conférence de Rome, qui se déroula du 15 juin au 17 juillet 1998, rassembla 160 États et marqua une étape décisive dans la mise en place de la CPI. Les débats furent souvent houleux, en particulier sur les questions liées à la juridiction de la Cour et sur la définition des crimes qu’elle serait appelée à juger.
Ce traité visait à établir une juridiction permanente capable de juger les crimes les plus graves : crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. La Conférence de Rome, qui a réuni 160 États, a permis d’élaborer le cadre de la CPI, bien que les débats aient été intenses, notamment autour de la définition des crimes et du rôle du Conseil de sécurité de l’ONU.
Outre les États, des organisations comme Amnesty International et Human Rights Watch ont joué un rôle clé dans les négociations, en faisant pression pour une juridiction indépendante. Si des pays comme la France et l’Allemagne ont soutenu la CPI, d’autres puissances comme les États-Unis et la Chine ont exprimé des réserves, invoquant des préoccupations liées à la souveraineté.
Le Statut de Rome fut adopté le 17 juillet 1998, avec une majorité de 120 votes pour, 7 contre et 21 abstentions, marquant une étape décisive dans la lutte contre l’impunité.
Parmi les pays ayant voté contre figuraient de grandes puissances telles que les États-Unis et la Chine. Ces pays restaient néanmoins sceptiques face à l’idée d’une cour pouvant juger leurs propres ressortissants, y compris en l’absence de ratification du Statut par leur pays.
Cette opposition initiale des grandes puissances reflète encore aujourd’hui certains des défis auxquels la CPI est confrontée.
La Cour pénale internationale : localisation et structure hiérarchique
La localisation de la Cour pénale internationale
Le choix de La Haye, aux Pays-Bas, pour abriter la Cour pénale internationale repose sur le rôle historique de cette ville en tant que centre de la justice internationale.
La Haye accueille également d’autres juridictions majeures, telles que la Cour internationale de justice et la Cour permanente d’arbitrage, nommée Tribunal de La Haye à ses débuts, renforçant ainsi son image de capitale mondiale de la justice.
Le gouvernement néerlandais a soutenu cette implantation, en offrant des infrastructures modernes pour garantir un fonctionnement sécurisé et indépendant de la Cour.
Structure hiérarchique de la Cour pénale internationale
La CPI est organisée autour de quatre organes principaux, chacun ayant des responsabilités spécifiques dans le bon fonctionnement de l’institution.
La CPI est structurée autour de quatre organes principaux :
- La Présidence, qui supervise les affaires administratives et représente la Cour dans ses relations extérieures ;
- Les Chambres, divisées en trois sections (préliminaire, première instance et appel), qui gèrent les affaires juridiques de l’ouverture des enquêtes aux appels ;
- Le Bureau du Procureur, indépendant, chargé de mener les enquêtes et de poursuivre les auteurs présumés de crimes internationaux ;
- Le Greffe, responsable des aspects administratifs et de la protection des témoins et des accusés.
Les enquêtes de la CPI suivent un processus rigoureux, depuis la collecte des preuves par le Bureau du Procureur jusqu’au jugement par les Chambres, avec une procédure d’appel possible pour garantir l’équité des verdicts.

Acteurs de la Cour pénale internationale et pressions
Juges et procureurs
La Cour pénale internationale repose sur un ensemble de juges et de procureurs spécialisés en droit international.
Les juges, élus pour un mandat unique de neuf ans, sont sélectionnés parmi des candidats proposés par les États membres en fonction de leurs compétences juridiques. Ils statuent sur les affaires, évaluent les preuves et assurent que les droits de la défense soient respectés tout au long des procès.
Élu pour un mandat de neuf ans, également, le procureur peut initier des enquêtes de sa propre initiative ou à la demande d’un État membre ou du Conseil de sécurité de l’ONU.
Le procureur de la CPI, actuellement Karim Khan, joue un rôle central en dirigeant les enquêtes sur des crimes graves tels que les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.
Les enquêtes menées par son Bureau sont souvent confrontées à des obstacles diplomatiques et logistiques, notamment lorsque les États refusent de coopérer avec la Cour.
Rôle des juges dans la prise de décision
Le rôle des juges dans la CPI est essentiel pour garantir l’équité et la transparence des procès.
Lorsqu’une affaire est soumise à la Cour, les juges sont responsables de la gestion des audiences, de l’évaluation des preuves et, en fin de compte, de la détermination de la culpabilité ou de l’innocence des accusés. Ils veillent à ce que le procès respecte les droits de la défense et que les preuves présentées soient conformes aux normes internationales.
Chaque juge doit statuer de manière indépendante, sans influence extérieure. Ce principe d’indépendance est un élément clé pour assurer la légitimité des jugements de la CPI.
En fonction des preuves présentées par les procureurs et des arguments de la défense, les juges rendent leurs décisions, qui peuvent être soumises à un processus d’appel si l’une des parties n’est pas satisfaite du verdict.

Cour pénale internationale depuis le 16 Juin 2021.
Procédures et pressions exercées sur la cours pénale internationale
La figure du Procureur et les enquêtes menées sous sa direction
Le Bureau du Procureur joue un rôle central dans le fonctionnement de la Cour. Le procureur mène les enquêtes sur les crimes qui relèvent de la compétence de la CPI, notamment les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide.
Le procureur a également la possibilité de lancer une enquête de sa propre initiative si les informations reçues indiquent que des crimes graves ont été commis, même si aucun État n’a saisi directement la Cour.
Les procédures internes : investigations, procès et condamnations
Le processus judiciaire à la CPI est rigoureux et se déroule en plusieurs étapes bien définies :
Investigations
Une enquête peut être ouverte suite à une demande d’un État membre, d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU ou par initiative du Procureur. L’enquête vise à rassembler des preuves et à identifier les individus responsables des crimes.
Procès
Une fois les enquêtes terminées, un procès peut avoir lieu si la Chambre préliminaire estime qu’il existe suffisamment de preuves pour soutenir les accusations. Les procès se déroulent avec l’implication des procureurs, des avocats de la défense et des juges, garantissant que toutes les parties aient l’occasion de présenter leurs arguments.
Condamnations
Si la Chambre de première instance juge un accusé coupable, elle peut prononcer une condamnation. Les peines peuvent inclure des peines de prison, mais aussi des mesures de réparation pour les victimes.
La CPI garantit un processus d’appel, permettant aux accusés ou au Bureau du Procureur de contester les jugements ou les peines devant la Chambre d’appel.
Pressions sur le procureur : le cas de Karim Khan
Depuis son entrée en fonction, le procureur Karim Khan a initié des enquêtes sur des crimes présumés de guerre et de génocide impliquant des pays influents, notamment Israël.
En mai 2024, il a ordonné des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le ministre de la Défense Yoav Gallant, accusés de crimes dans les territoires palestiniens.
En réaction, un groupe de douze sénateurs républicains américains, pro-israéliens, dont Mitch McConnell, Tom Cotton et Lindsey Graham, a envoyé une lettre menaçant la CPI de représailles si elle poursuivait ces actions. Ils ont averti qu’ils considéraient ces enquêtes comme une attaque contre la souveraineté d’Israël et des États-Unis, et ont menacé d’interdire l’accès de Karim Khan et de sa famille aux États-Unis, tout en réduisant le soutien financier à la CPI.
Peu de temps après, Khan a été confronté à des accusations de harcèlement sexuel par une ancienne collaboratrice, suscitant des interrogations quant aux motivations derrière cette affaire.
Bien qu’aucune preuve formelle n’ait encore été produite, Khan dénonce ces accusations comme une tentative de déstabilisation en réponse à ses enquêtes. Cette situation met en lumière les pressions politiques exercées sur la CPI, et les moyens employés pour fragiliser l’indépendance de son procureur.

Les États membres et les acteurs internationaux
Les États parties au Statut de Rome
La Cour pénale internationale repose sur un système de coopération avec les États parties au Statut de Rome, qui sont actuellement au nombre de 123.
Ces États membres ont ratifié le Statut et sont donc juridiquement tenus de coopérer avec la CPI dans la mise en œuvre de ses décisions. Cela inclut des obligations telles que l’arrestation des individus pour lesquels la Cour a émis des mandats d’arrêt, la fourniture de preuves, et l’exécution des peines prononcées.
Les États parties jouent un rôle crucial dans le bon fonctionnement de la CPI, car la Cour ne dispose pas de sa propre force de police pour exécuter ses décisions.
En conséquence, elle dépend entièrement de la coopération des gouvernements nationaux pour mener à bien ses missions. Certains pays, notamment des membres de l’Union européenne comme la France, l’Allemagne et les Pays-Bas, ont activement soutenu la CPI, tant sur le plan politique que financier. Ces États fournissent non seulement une aide matérielle, mais également des infrastructures, des experts et une coopération judiciaire directe.
Cependant, cette coopération n’est pas toujours évidente, même parmi les États membres. Certains gouvernements, bien qu’ils aient ratifié le Statut de Rome, hésitent à coopérer pleinement avec la CPI, notamment lorsqu’il s’agit d’arrestations d’individus encore influents sur leur territoire. Cela montre les limites du pouvoir de la CPI dans un système international où la souveraineté nationale reste un principe fondamental.
Les non-participants : États-Unis, Russie, Chine, Israël
Malgré le soutien de nombreux pays, plusieurs grandes puissances mondiales n’ont pas ratifié le Statut de Rome ou ont retiré leur signature, et ne sont donc pas parties à la CPI.
Parmi ces non-participants, on trouve les États-Unis, la Russie, la Chine, et Israël. Le refus de ces puissances de se soumettre à la juridiction de la CPI limite considérablement l’efficacité de la Cour, surtout dans les cas où des crimes internationaux sont commis ou soutenus par ces États.
Les États-Unis
Les États-Unis, sous l’administration de George W. Bush, ont retiré leur signature du Statut de Rome en 2002, évoquant la souveraineté nationale et le risque que des soldats américains soient poursuivis pour des actions menées lors d’interventions militaires à l’étranger.
Cette décision, soutenue par la politique américaine de protection de ses militaires, continue de définir leur relation avec la CPI. Bien que Washington ait à plusieurs reprises critiqué la Cour et limité ses financements, les États-Unis choisissent néanmoins de coopérer lorsque leurs intérêts sont directement en jeu.
Ainsi, dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les États-Unis ont décidé de collaborer étroitement avec la CPI, en partageant des renseignements et des preuves pour documenter des crimes de guerre imputés aux forces russes.
Cette coopération, qui contraste fortement avec leur refus de se soumettre à la juridiction de la Cour dans d’autres contextes, démontre une attitude de soutien à géométrie variable.
Loin de refléter un engagement envers la justice internationale, cette posture révèle le double standard américain : les États-Unis n’hésitent pas à utiliser la CPI comme levier contre des adversaires tels que la Russie, tout en s’opposant fermement à toute enquête susceptible de viser leurs propres actions militaires ou celles de leurs alliés.
En agissant ainsi, Washington illustre une instrumentalisation de la justice internationale, non pas au service de la communauté internationale, mais pour asseoir ses propres intérêts.
La Russie
La Russie, quant à elle, a signé le Statut de Rome en 2000, mais n’a jamais ratifié le traité. En 2016, à la suite des critiques internationales sur l’annexion de la Crimée et ses opérations militaires en Ukraine, la Russie a officiellement retiré sa signature du Statut.
Cette posture complique l’enquête de la CPI sur des crimes de guerre présumés en Ukraine, puisque la Cour dépend de la coopération des États pour pouvoir poursuivre des responsables.
En mars 2023, la CPI a émis un mandat d’arrêt contre le président russe Vladimir Poutine, l’accusant de crimes de guerre en lien avec le transfert d’enfants ukrainiens vers la Russie. Ce mandat, toutefois, suscite des questions quant à son indépendance, de nombreuses voix ayant évoqué des pressions politiques exercées pour pousser la Cour à agir dans ce sens.
La CPI, dépendante de soutiens politiques et financiers, a été perçue ici comme un instrument de pression dans le contexte du conflit ukrainien, où la Russie est en opposition directe avec plusieurs pays occidentaux et l’hégémon américain.
Israël
Israël a signé le Statut de Rome mais a refusé de le ratifier, exprimant de fortes réserves quant à la juridiction de la CPI sur le conflit israélo-palestinien.
Le gouvernement israélien rejette l’autorité de la Cour pour enquêter sur des crimes présumés dans les territoires occupés, arguant que les territoires palestiniens ne constituent pas un État souverain et reconnu, condition essentielle selon Israël pour justifier la compétence de la CPI.
Cette position vise à limiter l’accès de la Cour aux allégations de crimes de guerre ou de violations des droits humains en Cisjordanie et à Gaza, soulevant des critiques de ceux qui voient dans ce refus une volonté de se soustraire aux normes internationales de justice.
Conclusion
La Cour pénale internationale représente une avancée historique pour la justice internationale, permettant de juger les auteurs des crimes les plus graves, indépendamment des frontières nationales.
Sa création, rendue possible par le Statut de Rome, a marqué une étape clé dans la lutte contre l’impunité des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des génocides. Toutefois, la CPI reste confrontée à des défis importants. L’absence de coopération de certaines grandes puissances, comme les États-Unis, la Russie et la Chine, ainsi que les tensions liées à la souveraineté nationale, limitent son efficacité.
Malgré ces obstacles, la CPI continue d’incarner un espoir pour les victimes de conflits et d’abus à travers le monde. Elle symbolise la volonté internationale de faire respecter les droits de l’homme, même dans les situations les plus difficiles. La coopération active des États membres et le soutien de la communauté internationale demeurent cruciaux pour que la Cour puisse remplir son mandat et renforcer la justice globale.
Dans un contexte géopolitique complexe, l’avenir de la CPI dépendra de sa capacité à surmonter ces défis et à s’adapter aux nouvelles réalités internationales.
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Sources :
- Le Monde diplomatique : « La justice internationale dans le chaudron de Gaza »
- Le Monde diplomatique : « Poutine, les juges et la bombe »
- Le Monde diplomatique : « Quelle loi contre les invasions armées ? »
- Le Monde diplomatique : « La Cour pénale internationale en accusation »
- Northeastern University : « Will International Law Succeed in the Ukraine, Gaza Wars? »
- Chatham House : « The ICJ and ICC put Israel on notice but cannot stop the war »
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