Politique

HISTOIRE DE LA COLLUSION ENTRE LE WAHHABISME ET LE MONDE ANGLO-SAXON (1703-1979)

Ecrit par

minervewebstudio_b7vv8bu3

Publié le:

Temps de lecture : 24 min

Partager cet article

Islam et occident

« Il ne faut pas prendre à la légère le travail des agents anglais »[1]​

Wahhabisme et Etat profond

Introduction

​Il y a encore peu, le terrorisme international était assimilé et associé à des « États voyous », selon la terminologie employée par les administrations anglo-américaines, tels que la Libye, l’Irak, la Syrie ou l’Iran. Des pays comme l’Arabie Saoudite, le Qatar ou encore le Koweït étaient quant à eux considérés comme des alliés essentiels de l’Occident durant toute la période de la guerre froide jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001, où le rôle trouble de l’Arabie Saoudite sera timidement mis en avant. Alors que les explications du phénomène terroriste se limiteraient à la question socio-économique du Moyen-Orient, au colonialisme dans les pays arabo-musulmans ou au conflit israélo-palestinien, nous allons montrer que ces questions, certes importantes, ne semblent pas déterminantes pour appréhender le terrorisme international contemporain. L’histoire de la double émergence de la prédication wahhabite et de l’Arabie Saoudite constituera le point de départ de notre travail. Nous allons ensuite examiner la doctrine wahhabite en tant que telle pour tenter d’en extraire son essence profonde, pour finalement aborder les différentes branches de l’islam radical dans ses formes étatisées et non étatisées. Loin de prétendre à l’exhaustivité, notre étude se cantonnera à donner des clefs de lectures supplémentaires parmi tant d’autres. Les raisons de l’absence de considération de l’Occident pour la dimension wahhabite en général et pour facteur saoudien en particulier constitueront le fil conducteur de ce texte. Il s’articulera autour des soutiens indéfectibles de ces deux mouvements par l’Empire britannique d’abord et par son successeur américain ensuite, dans des objectifs géostratégiques immédiats et dans le cadre d’agendas à plus long terme, qu’il faudra bien nommer, de domination mondiale.

I) Le Wahhabisme Historique

Le Pacte de Nejd et le Premier émirat des Saouds (1745-1818)

Notre histoire commence en 1703 dans la région du Nejd au centre de l’Arabie. À Uyayna, une oasis du nord de Riyad, naquit Mohammed Ben Abdelwahhab, aujourd’hui considéré comme le père de l’orthodoxie islamique actuel : le wahhabisme. Ce cheikh développa dès son plus jeune âge une intelligence bien supérieure aux normes de son temps. Issu d’une famille de théologiens, son intérêt pour la jurisprudence hanbalite[2], la science du dogme (« aqîda ») et la théologie islamique, fit de lui un imam-remplaçant respecté à la mosquée d’Uyayna alors qu’il était âgé que de dix ans. Étudiant ensuite à La Mecque et à Médine, il amorça précocement une carrière de prédicateur islamique par la suite.

Le décalage entre son apprentissage du dogme et ce qu’il constatait dans la pratique fit naître en lui une indignation envers les pratiques populaires paganistes et superstitieuses (sur le culte des saints et des tombeaux notamment). Dans la péninsule arabique et le croissant fertile, il prôna en réponse un retour à un islam orthodoxe et puritain en exigeant des foules de se purger de toutes les innovations et hérésies dénuées de tout fondement islamique[3]. Rapidement, la prédication (« da’wa ») du cheikh Abdelwahhab attira de nombreux sympathisants qui se mirent à prêcher son message dans les différentes oasis de la désertique Arabie. Ses élèves n’hésitèrent pas à appliquer le puritanisme wahhabite en coupant les arbres perçus comme sacrés par les populations locales, en détruisant les coupoles de saints et en aplanissant les tombes[4]. Quand les élites religieuses et tribales de la région commencèrent à prendre au sérieux ce mouvement, Abdelwahhab fut contraint de s’exiler suite à diverses pressions en 1744.

Ne voulant pas quitter son Nejd natal, il choisit d’aller à Dariya où il retrouva certains de ces plus fidèles élèves dont Abdelaziz, Mishar et Thunayyan, appartenant à la famille de l’émir local : Mohammed Ben Saoud Ben Mohammed Al Mouqrin (aussi appelé Ibn Saoud). Toujours en 1744, ce dernier accepta de rencontrer Abdelwahhab et les deux protagonistes conclurent un accord (« mithaq ») que l’universitaire tunisien Hamadi Redissi appellera « le Pacte de Nejd »[5]. Ibn Saoud prêta donc allégeance à Abdelwahhab et scella cette alliance en épousant une de ses filles. En application de ce pacte, l’émir Saoud abolit les taxes non islamiques et appliqua la loi canonique islamique (« charia ») régissant la vie individuelle, religieuse, politique et sociale dans sa juridiction. Ce pacte développa considérablement la doctrine du cheikh Abdelwahhab en ajoutant une ambition politico-militaire à son prosélytisme. Ainsi, dès ses débuts au XVIIIe siècle, le wahhabisme fut socle idéologique du pouvoir politique des Saoud, qui commencèrent alors leur expansion militaire.

Si le cœur du Nejd (Diriya, Uyayna et Huraymila) avait presque entièrement été conquis par adhésion populaire, la prédication (« da’wa »), justifiée par la guerre sainte (« jihad ») pour rétablir l’orthodoxie, fut suivie de conquêtes territoriales armées. L’alliance saoudo-wahhabite mit quarante ans pour soumettre tout le Nejd à l’autorité de Diriya. Les étudiants les plus doués de la région s’établissaient dans la capitale du premier émirat saoudien, à la place des hauts lieux tels qu’Ushayqir et même La Mecque. Alors qu’Ibn Saoud mourra en 1765 et Abdelwahhab en 1792, la puissante filiation idéologique et biologique de leur projet reste fascinante, car leurs descendants prirent la relève de leurs ambitions durant les siècles qui suivirent… jusqu’à nos jours.

Premier émirat saoudien
Le premier émirat saoudien

Alors qu’à cette époque le califat ottoman administrait cette région, par le biais du chérif de La Mecque et du gouverneur turc du Hedjaz, le pouvoir ottoman n’y était pas physiquement présent. Cet allié de l’Empire britannique était de plus assez occupé dans sa guerre contre la France de Napoléon qui remportait des victoires décisives d’Égypte jusqu’à la Palestine entre 1798 et 1801[6]. Le Pacte de Nejd put donc étendre ses conquêtes dans toute l’Arabie sans que la Sublime Porte, siège du sultan de l’Empire ottoman, focalisât son attention sur cet ennemi secondaire.

Le rejet de l’idolâtrie et les accusations d’hérésie devinrent les outils justifiant conquêtes et massacres des Saoud qui, de père en fils, se succédèrent à la tête des wahhabites. En 1802, Saoud Ibn Abdelaziz s’empara de Kerbala, une des villes saintes du chiisme, au prix d’environ trois mille morts[7]. Suivi de Nadjaf et des villes saintes de Médine et de La Mecque, où égorgements, exécutions et destruction furent appliqués conformément à la doctrine, pour éviter tout paganisme et polythéisme. En prenant le contrôle de ces lieux saints de l’islam, les wahhabites contestaient de facto l’autorité du calife ottoman et ses prérogatives multiséculaires sur la protection des villes saintes et des pèlerins.

La famille Saoud était désormais suivie de près par les Français, les Anglais et les Russes. En réponse à un émissaire diplomatique anglais envoyé à Dariya, Saoud leur assura que tant qu’il avait la paix avec les Turcs il ne gênerait pas l’Empire britannique. En 1810, Napoléon envoya également l’agent Théodore de Lascaris à Dariya, pour convaincre Saoud d’une alliance contre les Anglo-Turcs, avec succès malgré des tentatives de blocages anglais[8]. En 1812, le sultan ottoman Mahmoud II ordonna au vice-roi d’Égypte, Méhémet Ali, de récupérer les territoires des wahhabites. Son fils Ibrahim Pacha, commandant de l’armée égyptienne d’Arabie, prit Dariya aux forces puritaines vers la fin de l’année 1818[9]. L’imam Soulaymân (le petit fils d’Abdelwahhab) et Abdallah Ibn Saoud furent exécutés, ce qui mit fin au premier émirat saoudien[10].

L’affaiblissement de l’Empire ottoman et le Deuxième émirat des Saouds (1823-1891)

Le 13 octobre 1819, l’Angleterre envoya le capitaine Forester Sadler sur les lieux pour féliciter Ibrahim Pacha de sa victoire contre les wahhabites dans le Nejd. Face aux différents excès de ces derniers, la répression fut impitoyable pour éradiquer l’émirat puritain. Le commandant de l’armée égyptienne d’Arabie s’était judicieusement attaché les services de l’officier français de Vaissière pour diriger ces opérations[11], sachant le colonel des armées égyptiennes était également un autre Français, le Colonel de Sève, aussi appelé Soliman Pacha.

Les Turcs et les Égyptiens pensaient en avoir fini avec les saoudo-wahhabites, mais Fayçal Ben Turki (de la famille Saoud) reprit les armes contre les Égyptiens et parvint à recréer un deuxième émirat wahhabite en 1824 avec la prise de Riyad qui en devint sa capitale. Durant vingt ans, cet émirat se stabilisa sans grandes ambitions expansionniste, territoriale ou religieuse[12].

Deuxième émirat saoudien
Le deuxième émirat saoudien (Source : Aïssam Aït-Yahya, Textes et contexte du Wahhabisme, Nawa, 2015, p.129).

Notons que cette région désertique du Nejd, morcelée en différentes tribus, clans et factions rivales, ne suscitait aucun intérêt politique ou économique : chaque oasis étant dirigée par un émir ou un conseil de cheikhs différents. Ceci pourrait expliquer en partie le manque de réaction de la Sublime Porte, au contraire de l’Empire britannique qui pressentit le potentiel des wahhabites et eut de nombreux contacts avec les Saoud[13].
Dans ce contexte, le pacte de Nejd doit aussi se comprendre sous l’angle d’une alliance tribale entre les Banu Tamim, dont est issu Abdelwahhab, et les Banu Hanifa dont est issu Ibn Saoud. C’est en 1884, qu’une autre tribu rivale, les Al-Rachid soutenue par la Sublime Porte et dirigée par l’émir Mohammed Ibn Abdallah Al-Rachid, mettra fin au second émirat saoudien en s’emparant de Riyad.

Durant toute cette période, l’Empire ottoman perdait des territoires en Europe et s’affaiblissait à cause des velléités d’indépendance en Grèce et dans les Balkans.

L’Empire britannique et le troisième émirat des Saouds (1902-1932)

Face à ces hostilités, la famille Saoud se réfugia au Koweït. Ce pays, sous contrôle britannique, était une pièce essentielle des Anglais dans le blocage du projet germano-turc de prolongement du fameux chemin de fer Berlin-Bagdad, lancé par l’Allemagne en 1903 et passant par Istanbul. Le Koweït était le terminus possible et idéal de toute ligne ferroviaire entre le Golfe et la Méditerranée[14]. Avec une ambition féroce, l’arrière-arrière-arrière-petit-fils d’Ibn Saoud, Abdelaziz Ben Abderrahmane Al Saoud (lui aussi appelé Ibn Saoud) initia un troisième émirat en reconquérant Riyad en 1902.

Notre deuxième Ibn Saoud (1876-1953) avait noué des accords avec les agents anglais qui continuaient de mener le « grand jeu »[15] de l’Empire britannique des Indes. Il reconquit de nombreuses villes aux alentours de Riyad en 1904 et s’empara de toute une partie de la côte occidentale du Golfe en 1913[16]. En plus des soutiens financiers anglais et de la propre audace d’Ibn Saoud, la tâche fut également facilitée par le fait que beaucoup de fiefs éprouvaient une fidélité réelle aux Saouds ou voulaient s’émanciper de la tutelle des Al-Rachid, vassaux des ottomans et ennemis de longue date des wahhabites[17].

Ibn Saoud
Ibn Saoud

En sédentarisant progressivement les tribus bédouines sous sa tutelle vers 1911, Ibn Saoud promut une éducation puritaine rigoriste pour les contrôler sur des territoires stables. Les membres de ces colonies, à la fois combattant du jihad et agriculteurs-éleveurs, furent baptisés les Frères dans l’obéissance d’Allah (« Al Ikhwân man ta’a Lah »), abrégé sous le terme Ikhwân. Ils furent des guerriers impitoyables tenant d’un wahhabisme strict[18], nous y reviendrons. ​

Les ikhwan
Les Ikhwân

Lorsque la Première Guerre mondiale éclata, opposant notamment les deux Empires britannique et ottoman, l’émirat saoudo-wahhabite, qui choisit d’abord la neutralité, rejoignit rapidement le camp anglais. Cette guerre mondiale était l’opportunité rêvée pour l’Angleterre de s’attaquer aux possessions ottomanes en Arabie, ainsi que de contrecarrer les ambitions de l’Allemagne dans la région. Le capitaine anglais William Shakespeare (1878-1915), conseiller et ami proche d’Ibn Saoud depuis 1910, lui suggéra d’attaquer ses rivaux alliés des ottomans, les Al-Rachid. En 1915 est signé le premier traité de coopération liant l’Angleterre aux Saoud, entre l’administrateur du Bureau des colonies au Moyen-Orient, Percy Cox, et Ibn Saoud. Il permit à ce dernier la reconnaissance par la Couronne britannique des territoires conquis et l’obtention 5000 livres sterling-or par mois. En retour, il prit l’engagement de ne pas contracter d’alliance sans l’aval des Britanniques.

Harry Saint John Bridger Philby, un agent secret de l’Empire britannique, fut dépêché dès 1917 en Arabie. Il succéda à William Shakespeare, mort au combat, dans son rôle d’agent de liaison avec les Saoud. La mission de Philby rentrait dans le cadre d’une stratégie plus large : créer une guerre tribale entre les Saoud, les Rachid et les Hussein[19]. Ce sympathisant réel de la cause wahhabite augmenta les subsides à Saoud jusqu’à 60 000 livres sterling par an dès 1920[20]. Au même moment, Londres mobilisait les Hussein, la tribu des Hachémites[21] de La Mecque, contre les Turcs de l’Empire ottoman.

St John Philby
St John Philby

​Le chérif de la Mecque de la dynastie hachémite, Hussein Ibn Ali, initialement affilié aux ottomans, changea donc d’allégeance en s’alliant aux Anglais, ce qui mit à mal les ambitions expansionnistes de son ennemi Ibn Saoud, qui ne pouvait plus éliminer ce nouvel auxiliaire de ses alliés britanniques. Cette dynastie hachémite fut appuyée par un célèbre agent anglais hostile aux wahhabites : Thomas Edward Lawrence dit Lawrence d’Arabie. Habillé en Bédouin, il parcourait le désert en soulevant des tribus, faisant sauter des voies de chemin de fer et détruisant les colonnes de ravitaillement contre les intérêts ottomans et français[22]. La Couronne britannique voulait chasser ces derniers de Beyrouth et Damas, car ils gênaient le transit de l’or noir. Le chérif Hussein s’autoproclama roi des Arabes et provoqua la Grande Révolte arabe de 1916-1918 contre l’Empire ottoman, après que Lawrence d’Arabie lui fit sa promesse de créer un grand État arabe qui s’étendrait d’Aden à Alep, soit toutes les terres arabes de l’Empire ottoman. Tandis qu’Ibn Saoud reconquérait progressivement l’Arabie de son côté, les Anglais soutinrent donc différentes tribus pour maintenir le monopole britannique contre les autres puissances européennes (France, Allemagne et Russie en tête[23]) et contre l’Empire ottoman.

Lawrence d'Arabie
Lawrence d’Arabie

À l’issue de la Première Guerre mondiale, les Britanniques mirent plusieurs coups de couteaux dans le dos des indépendances arabes promises à Hussein Ibn Ali et ses fils. D’abord, avec les accords secrets Sykes-Picot (1916) prévoyant un partage de l’Empire ottoman déliquescent entre les puissances françaises et britanniques (qui prendront la plus grosse part du gâteau avec l’Irak et le Koweït, riches en pétrole et en gaz). Ensuite, avec la promesse faite au mouvement sioniste pour l’établissement d’un foyer national juif en Palestine en 1917[24]. Malgré ces trahisons, les Hachémites voulaient forcer la main aux Britanniques en revivifiant le projet de grand État arabe par l’accord Fayçal-Weizmann du 3 janvier 1919[25]. Cette collaboration devait entamer une coopération judéo-arabe pour le développement d’un foyer national juif en Palestine et d’une nation arabe sur la plus grande partie du Moyen-Orient. L’accord tomba à l’eau et l’échec fut patent pour la partie arabe. La judéophobie des courants wahhabites se trouvera ainsi opposée plus tard à l’islamophobie des courants sionistes durs, marginalisant ainsi les mouvements raisonnables dans tous les camps.

Le 7 décembre 1922, les Anglais contraignirent Saoud à signer un premier traité territorial avec le Koweït, tandis que la région était partagée entre les fils du chérif Hussein : Ali Ben Hussein eut le Hedjaz, Abdallah Ier la Transjordanie et Fayçal Ier l’Irak pétrolier.

Hussein au Koweït
Les fils d’Hussein à l’avant-plan. De gauche à droite : Ali, roi du Hedjaz ; Abdallah, roi de Transjordanie ; Faycal, roi d’Irak

Une opération parrainée en sous-main par l’agent Lawrence d’Arabie. La fine politique britannique dans ce billard à trois bandes fut essentielle pour préserver deux avantages géopolitiques considérables : le canal de Suez et le naphte[26] de Mossoul soient respectivement le contrôle du commerce et la mainmise sur les hydrocarbures de cette région éminemment stratégique.

L’agent secret français Xavier de Hautecloque, dépêché sur place et en contact direct avec Philby dans les années 1930, avait déjà une vision subtile du double jeu britannique dans la région : « trichant somptueusement, jouant toujours sur les deux tableaux de toutes les parties, misant à la fois pour et contre : le grand Fox pour la Révolution française, le dur William Pitt contre ; Lawrence pour le Sionisme menacé, Philby pour les Wahabites menaçant ? […] Ceux qui ont permis d’allumer le feu qui va, peut-être, embraser l’Orient, veulent-ils déclencher le contre-feu classique ? Politique dangereuse. Ce n’est qu’avec des pluies de sang qu’on éteint de pareils incendies »[28]. D’autres diront plus modérément que les Anglais menèrent une politique d’équilibre entre les Hussein, les Saoud et les Rachid[29].Il s’avère que ce fut une femme incroyablement influente nommée Gertrude Margaret Lowthian Bell qui dressa et dirigea les plans que les deux espions Lawrence et Philby appliqueront. 

Gertrude Bell
Gertrude Bell

Femme de lettres, analyste politique, archéologue, alpiniste, espionne et fonctionnaire britannique, elle fut également conseillère de l’administrateur du Bureau des colonies au Moyen-Orient, Percy Cox, sur une région qu’elle connait mieux que tout occidental. Miss Gertrud sera décorée de l’ordre de l’Empire britannique pour avoir notamment permis la réquisition du pétrole de Mossoul[27].

Finalement, les Britanniques laissèrent le dirigeant le plus redoutable et ses ikhwans fanatiques quasi autonomes prendre le pas sur les « rois de Lawrence » en Arabie. En 1925, Ibn Saoud prit La Mecque au roi Ali, mettant fin à presque un millénaire de chérifat hachémite. Le 2 novembre de la même année, la reconquête du Hedjaz fut achevée par le traité de Hadda signé avec les Anglais qui délimita les frontières entre le domaine des Saoud et la toute nouvelle Transjordanie, pour annuler définitivement les visées d’expansion wahhabites vers les autres territoires protégés par les Anglais. Ceci posera un problème aux Ikhwân, trop extrémistes, qui niaient les frontières et remettaient en cause les allégeances de Saoud envers les Anglais. Ces contestations émises par ces guerriers redoutables furent finalement violemment réprimées par des offensives anglo-wahhabites conjointes.

Le califat ottoman abolit par le kémalisme[30] en 1924 et les Hachémites destitués de leur rôle de dirigeant des lieux saints l’année d’après, laissèrent un grand vide dans le leadershipreligieux au Proche-Orient. La puissante alliance issue du Pacte de Nejd prit pied dans cette place vacante. Les royaumes du Hedjaz et du Nejd seront fusionnés en 1927 et l’implantation définitive du troisième émirat des Saouds se concrétisa avec la fondation du Royaume d’Arabie Saoudite, le 22 septembre 1932. Le contrôle des lieux saints donna à Ibn Saoud un rôle politique et religieux de premier ordre et Riyad prit la succession de Constantinople, qui avait tenu les rênes de la communauté des croyants (« oumma ») durant quatre siècles.

De toutes les forces utilisées par l’Empire britannique pour affaiblir l’Empire ottoman et les puissances européennes, c’est l’association saoudo-wahhabite qui l’emporta. En soutenant toutes les parties et en provoquant dans le même temps division et affrontement chez tous leurs ennemis potentiels, le Royaume-Uni, ou plutôt la matrice impériale britannique à sa tête[31], a démontré son ingéniosité dans sa politique étrangère. Ceci fit dire au journaliste et agent secret du deuxième bureau français Xavier de Hauteclocque que les cinq grandes banques privées de la Cité de Londres, coactionnaires et maitresses de la Bank of England, ne seront satisfaites que lorsque le commerce mondial sera sous leur contrôle[32]

La filiation saoudo-wahhabite du Pacte de Nejd jusqu’à la création de l’Arabie Saoudite 

Histoire des Saoud


II) Islam et Wahhabisme, continuité ou rupture ?

Pour mieux appréhender la doctrine du wahhabisme historique[1] et la suite de l’étude, quelques rappels élémentaires s’imposent.

Un schisme dans l’islam

L’islam traditionnel se divise en deux branches principales : le sunnisme et le chiisme. Tout a commencé à la mort du prophète Mahomet en 632 lors d’une guerre qui éclata entre deux groupes pour sa succession. D’un côté, nous avons les compagnons du prophète et une de ses femmes, Aïcha, qui soutiendront les trois premiers califes (« khalîfa  »)[2], Abu Bakr, Omar et Othman, pour la succession et de l’autre côté, nous avons le gendre et la fille du prophète, Ali Ibn Abi Talib et Fatma ainsi que leurs deux enfants Al-Hassan et Al-Hussein. Les chiites ne reconnaissent pas les trois premiers califes, mais reconnaitront le quatrième, Ali Ibn Abi Talib, au nom des liens du sang, car il était également le cousin de Mahomet. Les soutiens d’Ali et des descendants du prophète seront connus plus tard sous le nom de « chiites » (littéralement partisan ou disciple, sous-entendu d’Ali) tandis que les soutiens des califes seront appelés « sunnites » (ceux qui suivent la Sunna[3]). Cette époque où vivaient Mahomet et ses quatre premiers successeurs, « les califes bien guidés », est néanmoins considérée par tous comme l’âge d’or de l’islam.

Le droit coranique ou la jurisprudence islamique (« fiqh ») repose sur deux sources fondamentales : le Coran et la Sunna. Cette dernière est constituée des récits des faits et gestes du prophète (« hadîth »), compilés dans des recueils. Les chiites ne reconnaissent pas la Sunna et considèrent que l’imam est la seule source d’autorité spirituelle et temporelle de l’islam. Les sunnites quant à eux considèrent ce dernier comme un simple dirigeant de prière. Cette jurisprudence islamique repose également sur des sources secondaires pour déterminer la solution d’un problème de droit non prévu par les textes du Coran et de la Sunna. Elles sont fondées sur la raison humaine des théologiens-juristes comprenant le raisonnemen

Découvrez aussi ces sujets

Laisser un commentaire